Rédacteur Bonnard Lawson

Les derniers mois ont vu des développements judiciaires intéressants relatifs au régime d’imposition d’après la dépense dans le contexte franco-suisse. C’est l’occasion de revenir sur les notions fiscales concernées et de faire le point l’état du débat de part et d’autre de la frontière.

Au cours de l’année qui s’est écoulée, le régime d’imposition d’après la dépense, plus communément appelé le « forfait fiscal », a fait l’objet de développements judiciaires intéressants de part et d’autre de la frontière franco-suisse.

En premier lieu, deux arrêts rendus par des juridictions d’appel en France[1] ont confirmé que les personnes imposées selon le forfait fiscal en Suisse ne pouvaient pas bénéficier de la Convention fiscale franco-suisse en vue d’éliminer les doubles impositions.


Bénéficier de cette convention n’est pourtant pas anodin car il permet d’éviter d’être considéré comme résident dans les deux Etats, ce qui pourrait conduire à une double imposition.

En second lieu, le Tribunal fédéral suisse a rendu deux décisions remarquées[2] autorisant l’échange de l’information relative au régime d’imposition des contribuables suisses faisant l’objet d’une demande d’échange par une administration étrangère. Ces décisions retiennent notamment que le régime d’imposition est une information « vraisemblablement pertinente » pouvant faire l’objet de l’échange. Toutefois, le montant de la base forfaitaire ne doit pas être échangé car ne donne aucune indication sur le montant des revenus.

La combinaison de ces jurisprudences est préoccupante pour les personnes imposées au forfait en Suisse entretenant des liens assez étroits avec la France (famille, résidence, séjours réguliers, nationalité, etc.).

Pour rappel, l’imposition au forfait est un régime spécifique d’imposition des personnes physiques destiné aux personnes de nationalité étrangère (non suisse) domiciliées en Suisse et qui s’y installe pour la première fois ou après une absence de 10 ans mais n’y exerçant aucune activité lucrative. La base d’imposition est déterminée forfaitairement d’après la dépense annuelle des contribuables. Elle doit néanmoins être supérieure à certains seuils prévus par le droit fédéral.

Compte tenu de sa physionomie, ce régime est destiné aux personnes fortunées n’exerçant pas d’activité lucrative en Suisse. Ces personnes sont généralement assez mobiles.

La convention fiscale franco-suisse comporte une particularité car elle prévoit expressément d’exclure de son champ d’application toute personne qui n’est « imposable dans [un] Etat que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative de la ou des résidences qu’elle possède sur le territoire de cet Etat ». Pendant longtemps, les administrations française et suisse avaient une interprétation commune de cette disposition selon laquelle il était clair que les personnes imposées au forfait étaient concernées. Cette interprétation commune prévoyait également une tolérance pour les contribuables suisses s’acquittant d’un forfait majoré d’environ 30% : ces derniers pouvaient être considérés comme résidents fiscaux suisses au sens de la convention.

La France a unilatéralement abandonné cette interprétation en 2012. Depuis lors, il est très clair que dans l’esprit de l’administration française que les personnes imposées au forfait ne sont plus couvertes par la convention.

Dans ce contexte, les décisions rendues par le Tribunal fédéral suisse offrent une perspective réjouissante pour l’administration française, qui pourra ainsi s’informer sur le régime d’imposition de contribuables suisses connus de ses services[3] avant d’entamer un contrôle fiscal.

En l’absence de protection conventionnelle, si un tel contribuable entretient des liens étroits avec la France, l’administration française pourrait, sans restriction, le considérer comme résident français.

Pour limiter ce risque, il est recommandé aux personnes potentiellement concernées de faire contrôler régulièrement leur exposition au droit fiscal français par des experts en fiscalité franco-suisse.


[1] CA Reims, Ch. Civ 1ère sect., 4 décembre 2018, 17/03068 ; CAA Nancy 11 avril 2019, 17NC03049

[2] TF, IIe Cour de droit public, 1er février 2019, 2C 625/2018 ; TF, IIe Cour de droit public, 2C_764/2018 du 7 juin 2019

[3] A ce titre, il convient de rappeler que l’administration fiscale française est aujourd’hui autorisée à recueillir des informations sur les réseaux sociaux pour fonder ses redressements

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