La pandémie de COVID-19 et les obligations de confinement qui en découlent conduisent à bien des interrogations, voire des remises en cause de nos modes de vie. Certaines évidentes (santé et sécurité), d’autres beaucoup moins concernant la situation juridique et fiscale de nos compatriotes non-résidents qui ont choisi de revenir en France en cette période difficile, le plus souvent auprès de leur famille.
Comment définit-on la résidence fiscale en France et quel impact cette notion peut-elle avoir sur les Français rapatriés de l’étranger et confinés? Que peut-il se passer en cas de succession ou de divorce lors d’un confinement en France? Comment faire si au terme du confinement, l’ex-confiné décide finalement de rester en France, voire d’y réimplanter ses activités professionnelles et sa société?
PREMIERE PARTIE : RESIDENCE FISCALE ET PROBLEMATIQUES SUCCESSORALES
Pour nos compatriotes non-résidents qui ont choisi de revenir en France en cette période de pandémie de COVID-19, au bout de combien de mois deviennent-ils résidents fiscaux français ?
En droit fiscal français, le domicile d’une personne, quelle que soit sa nationalité, est défini en fonction de l’un ou l’autre des critères alternatifs fixés à l’article 4B du Code Général des Impôts, et que sont : le foyer, le lieu du séjour principal, l’activité professionnelle exercée à titre principal ou le centre des intérêts économiques.
Le plus connu est sans doute celui de la durée de séjour (séjour principal). Et contrairement à une croyance courante, il ne s’agit pas de passer plus de six mois en France dans l’année.
Cette notion est en fait beaucoup plus subtile car il suffit de passer plus de temps en France que dans son pays de résidence prétendue pour devenir résident fiscal français.
En cette période de confinement, plus le temps passe et plus le risque semble augmenter pour les Français non-résidents qui ont choisi de se rapatrier ; notamment pour ceux qui avaient pris l’habitude de voyager fréquemment en dehors de leur pays de résidence.
Un autre critère français de résidence fiscale peut aussi concerner ceux qui ont choisi d’être confinés près de leurs proches : celui du foyer, soit le lieu de vie de la famille et les habitudes personnelles. Ce critère va impacter plus particulièrement les célibataires pour lesquels la jurisprudence a considéré qu’il doit être fixé au lieu où il habite normalement et où il a le centre de sa vie personnelle (CE 17 mars 2010, n°299770, Blanc).
La Direction des Impôts des Non-Résidents (« DINR ») a toutefois publié sur son site un communiqué dans lequel elle rappelle notamment que le foyer s’entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu’il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles, et que le lieu du séjour principal du contribuable ne peut déterminer son domicile fiscal que dans l’hypothèse où celui-ci ne dispose pas de foyer.
Elle précise ainsi qu’un séjour temporaire au titre du confinement en France, ou de restrictions de circulation (« travel ban ») décidées par le pays de résidence, n’est pas de nature à caractériser une domiciliation fiscale en France au titre de l’article 4 B précité.
En conséquence, et dans la mesure toutefois où la personne concernée ne remplirait pas par ailleurs les autres critères (activité professionnelle principale ou centre des intérêts économiques en France), elle ne saurait être qualifiée de résidente française et conserve son domicile fiscal dans son pays de résidence effective.
Dans le cadre du confinement, il est donc particulièrement recommandé de ne pas exercer d’activités professionnelles en France (notamment de fonction de direction de sociétés françaises, même non rémunérées, auxquelles serait consacré l’essentiel du temps professionnel) ni de patrimoine français trop important,- en règle générale il s’agira de biens immobiliers qui parfois peuvent générer des revenus fonciers élevés.
La DINR considère aussi qu’au regard des conventions fiscales bilatérales, le fait pour une personne de se retrouver confinée en France, en raison d’un cas de force majeure, ne serait pas de nature, pour ce seul motif, à la considérer comme y ayant établi son foyer permanent ou y ayant le centre de ses intérêts vitaux.
La notion de foyer permanent d’habitation dans les conventions fiscales étant un critère purement matériel (le fait de disposer d’un logement dans l’un des deux Etats), on peut douter de sa pertinence au cas particulier, sauf peut-être pour ceux confinés à l’hôtel. En revanche, il m’apparait certain que les personnes qui se retrouvent confinées dans leur résidence secondaire française seront considérées comme ayant un foyer d’habitation en France.
La situation est probablement plus claire pour le centre des intérêts vitaux (combinaison d’éléments résultant des attaches personnelles et des intérêts économiques) : un confinement en France pour des raisons de force majeure ne peut suffire à y créer des intérêts personnels.
Durant cette période de résidence en France, si nos compatriotes décèdent ou sont au bénéfice d’une succession, comment sera traité cet évènement ?
En matière de succession, le contexte fiscal est posé par l’article 750 ter du CGI de la manière suivante:
– Lorsque le défunt ou donateur est domicilié en France, l’ensemble des biens meubles ou immeubles dont il est propriétaire et qu’ils soient situés en France ou hors de France sont assujettis aux droits de mutation à titre gratuit français (art. 750 ter al.1).
– Lorsque le défunt ou donateur n’est pas résident français en application de l’article 4B du CGI, il convient alors d’opérer une distinction en fonction de la qualité du bénéficiaire :
- Le bénéficiaire (héritier, donataire ou légataire) est domicilié en France au jour de la transmission et l’a été pendant au moins 6 ans au cours des 10 dernières années: tous les biens meubles ou immeubles reçus par lui, situés en France ou hors de France, sont imposables en France (art. 750 ter al. 3) ;
- Le bénéficiaire est domicilié hors de France: seuls les biens français ou réputés tels qu’il reçoit sont imposables (art. 750 ter al.2).
Il a été dit précédemment que la situation de confinement en France ne devrait pas être de nature à permettre à l’Administration fiscale de considérer que la personne concernée (défunt ou héritier) est résidente fiscale de France.
Si la personne décédée était résidente à l’étranger et s’est trouvée confinée en France, on se retrouve donc dans la situation classique d’un non-résident et l’application des alinéas 2 ou 3 du CGI selon le cas, avec imposition en France soit des seuls biens français (750 ter al.2) soit de l’ensemble de la part mondiale reçue par le bénéficiaire (750 ter al. 3).
Si à l’inverse c’est l’héritier qui est concerné par le confinement, il faut alors distinguer deux situations :
– Soit la personne décédée était résidente de France : l’ensemble de son patrimoine mondial se trouve assujetti aux droits de successions français ;
– Soit la personne décédée était non-résidente de France : seuls ses biens situés en France ou réputés l’être seront alors taxés.
Il est bien entendu toutefois que ces dispositions n’ont vocation à s’appliquer qu’en l’absence de stipulation contraire d’une convention fiscale liant la France avec l’autre pays concerné.
La France en a signé un peu plus d’une quarantaine, en a révoqué certaines (Suisse), souhaite en modifier d’autres (Espagne, Belgique…) et toutes à ce jour (à l’exception de la convention franco-allemande) excluent l’application de l’alinéa 3 de l’article 750 ter du CGI et répartissent les droits d’imposer en fonction de l’Etat de la résidence fiscale du défunt et du lieu de situation des biens faisant partie de la succession sans prendre en compte la situation des héritiers ou légataires.
Il ne faut pas non plus négliger l’aspect civil de la succession et la détermination de la loi qui devra définir les droits des héritiers et les modalités juridiques de répartition des biens successoraux entre eux.
Depuis l’entrée en vigueur du règlement européen succession en 2015, la France retient un critère unique pour déterminer la loi applicable à une succession, celui de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès.
Bien qu’il n’existe pas de définition légale de cette notion, il est admis, par référence aux éléments fournis par le règlement européen (considérants 23 et 24 du préambule), que la qualification d’une résidence habituelle doit résulter d’une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, en prenant en compte notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence, la résidence habituelle ainsi déterminée devant révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné. A titre subsidiaire, lorsqu’il apparaît que le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États, sa nationalité ou le lieu de situation de ses principaux biens peuvent être pris en compte.
Il s’agit donc d’une pure analyse de fait, à laquelle les tribunaux procèdent attentivement (Cass. Civ. 1ère, 29 mai 2019 n°18-13-383 ; TGI Nanterre ord. 28 mai 2019 ; Jurisdata n°2019-009635).
Un simple confinement dans des circonstances exceptionnelles ne saurait, à lui seul, remettre en cause une résidence habituelle à l’étranger et entrainer une modification de la loi successorale qui aurait été normalement applicable.
Si aucune conséquence juridique ou fiscale ne peut donc normalement résulter d’un confinement inopiné en France, sauf situation particulière qui, par exemple, tiendrait à une fragilité antérieure de la résidence fiscale, il n’empêche que les règles en jeu sont complexes et la période actuelle peut se prêter à une réflexion sur la meilleure organisation de transmission pouvant être mise en place.
DEUXIEME PARTIE : LE DIVORCE, UNE ISSUE FATALE DU CONFINEMENT ?
Nous avons abordé ci-dessus la question cruciale et difficile du décès, mais il en est une autre redoutable : si cette vie de confinement familial entraîne une demande de divorce, sous quel droit sera traitée cette séparation ?
Depuis le début de la crise sanitaire de la Covid-19, de nombreuses études sociologiques et psychologiques tentent de pronostiquer les conséquences de la proximité imposée par le confinement, sur les familles et plus particulièrement sur le couple. Bien qu’en début de crise certains misaient sur un phénomène de « baby-boom » comme conséquence de ce rapprochement, au fur et à mesure que les semaines défilent, l’épreuve du huis-clos laisse la place aux difficultés et fatalement, à l’éclatement du couple, à l’instar de la tendance constatée en Chine où la fin du confinement s’est soldée par l’explosion de demandes de divorce et de plaintes pour violences domestiques.
Les couples de français (ou de franco-étranger) ayant choisi de se rapatrier de l’étranger et qui, au cours de leur confinement en France, réalisent qu’ils souhaitent divorcer, seront principalement confrontés à deux questions : (i) la juridiction qu’ils pourraient saisir, et (ii) la loi qui serait applicable à leur divorce, lesquelles dépendent essentiellement non pas du droit interne français mais du droit européen.
i. Sur la compétence des tribunaux
En doit français, les règles de compétence juridictionnelles sont fixées à l’article 1070 du code de procédure civile, soit notamment le lieu de résidence de la famille ou celui du défendeur. De plus, les articles 14 et 15 du code civil instaurent un privilège de nationalité donnant compétence aux tribunaux français pour tout litige concernant un national français, à condition, en matière de divorce, qu’aucun critère de compétence du Règlement Européen ci-après ou de l’article 1070 du CPC ne soit rempli.
Toutefois, dans le cadre international, le Règlement dit « Bruxelles II bis » du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, liant l’ensemble des Etats membres de l’UE, à l’exception du Danemark, impose des critères sensiblement différents. Il s’applique au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, à l’exception des litiges relatifs aux obligations alimentaires et aux effets patrimoniaux du mariage.
Le Règlement prévoit une pluralité de chefs de compétence non hiérarchisés, selon lesquels peuvent être saisis les tribunaux de l’Etat de :
– la résidence habituelle des époux ;
– la dernière résidence habituelle des époux si l’un d’eux y réside encore ;
– la résidence habituelle du défendeur ;
– en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux ;
– la résidence habituelle du demandeur s’il y réside depuis au moins un an au jour de l’introduction de la demande ;
– la résidence habituelle du demandeur s’il y réside depuis au moins six mois au jour de l’introduction de la demande et qu’il est ressortissant de cet Etat ;
– la nationalité commune des deux époux.
La résidence habituelle est ici comprise comme « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts » (Cass. 1e civ. 14-12-2005 n° 05-10.951). Nous écarterons ce critère au cas d’espèce, les époux étant en principe rentrés en France, pays de nationalité d’au moins l’un d’entre eux, uniquement à l’occasion du confinement et peu important leur lieu de résidence habituelle, qui n’est par hypothèse pas la France.
L’application de ces règles a pour conséquence que, celui qui souhaite divorcer de son époux résident habituel ou ressortissant de l’UE, ne pourra l’assigner au sein de l’UE qu’en suivant les critères listés ci-dessus, lesquels, s’ils ne sont pas alternatifs, sont en revanche exclusifs : le droit interne français est écarté. Inversement, celui qui souhaite divorcer d’un époux qui n’a aucun lien avec l’UE pourra se prévaloir des règles de droit interne.
Ainsi, des époux non-résidents mais tous deux de nationalité française pourront engager une procédure en divorce devant les tribunaux français.
Dans le cadre d’époux de nationalités européennes, il convient de faire particulièrement attention, ce qui n’est pas toujours le cas, aux dispositions de l’article 6 du Règlement qui prévoit « un privilège de nationalité européenne » et protège un ressortissant européen contre le fait d’être assigné dans un Etat Membre autre que celui dont il est le national.
En conséquence, un époux français confiné avec son épouse espagnole ne pourra pas se prévaloir de l’article 14 du Code Civil pour l’assigner devant le juge français alors qu’ils résident habituellement hors de France, seules les juridictions espagnoles pourraient dans ce cas se reconnaitre compétentes (en ce sens, Cass. 1e civ. 15-11-2017 n° 15-16.265 FS-PBI). Son épouse espagnole, en revanche, pourrait l’assigner devant les tribunaux français sur le fondement de l’article 15 du code civil.
De même, l’épouse française ayant quitté sa résidence chinoise pour se confiner en France avec son époux chinois, pourra demander l’application des règles nationales de compétence, dès lors qu’aucun tribunal de l’UE ne serait compétent au titre des critères du Règlement. Comme dans le cas précédent, son époux pourrait d’ailleurs prendre les devants et l’assigner en France par application de l’article 15 du Code civil.
Dans l’hypothèse que nous analysons on peut considérer que, dans la mesure où les époux résident habituellement dans un pays étranger, le juge français ne sera la plupart du temps compétent en vertu du Règlement « Bruxelles II bis » que s’il s’agit d’un couple de nationaux français. Au cas contraire il conviendra d’examiner le lieu de résidence et la nationalité des époux pour déterminer la juridiction compétente pour les divorcer.
Enfin, aucune des dispositions du Règlement susvisé, ni d’ailleurs de celles du nouveau Règlement « Bruxelles II ter » qui se substituera au premier dès le 1er août 2022, n’accordent aux époux la faculté de choisir leur juge d’un commun accord.
La juridiction française qui se serait reconnue compétente en application des règles qui précèdent, procédera à la détermination de la loi applicable au divorce.
ii. Sur la loi applicable au divorce
Depuis 2012, la France applique le Règlement « Rome III[1] » lequel a une portée universelle. Cela signifie qu’il a vocation à s’appliquer même si la loi désignée est celle d’un Etat étranger au Règlement, et même si les époux n’ont aucun lien avec l’Union européenne. Son application en France intervient dès lors que le juge français est saisi d’une question comportant un élément d’extranéité, tel que la résidence habituelle étrangère dans l’hypothèse ici étudiée.
En application du Règlement Rome III, la loi applicable au divorce est en principe déterminée par le choix des époux qui peuvent, par convention conclue à tout moment avant la saisine du tribunal, désigner l’une des lois suivantes :
– loi de l’Etat de la résidence habituelle des époux ;
– loi de l’Etat de la dernière résidence habituelle des époux si l’un d’eux y réside encore ;
– loi de la nationalité de l’un des époux ;
– loi de l’Etat où se trouve le tribunal saisi.
A défaut de choix par les époux, la loi applicable est déterminée en fonction des critères suivants :
– loi de l’Etat de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine du tribunal ;
– à défaut, loi de l’Etat de la dernière résidence habituelle des époux si l’un d’eux y réside encore et si cette résidence commune n’a pas pris fin plus d’un an avant la saisine du tribunal ;
– à défaut, loi de la nationalité commune des époux au moment de la saisine du tribunal ;
– à défaut, loi de l’Etat où se trouve le tribunal saisi.
Cette détermination « par défaut » devrait néanmoins avoir une portée limitée dans le cas des couples rapatriés qui nous occupe. En effet, s’il s’avère que le juge français est effectivement compétent pour connaître de leur divorce, ils auront tout intérêt à choisir avec leur avocat la loi qui leur sera applicable, afin d’éviter toutes règles qui se heurteraient à l’exception d’ordre public international ou qui contreviendraient de manière plus générale aux standards européens en matière de droits fondamentaux (ce qui peut être le cas de certaines lois religieuses applicables en fonction de la nationalité de l’un des époux par exemple).
Quid du divorce par acte d’avocat déposé au rang des minutes d’un notaire ?
Il est aujourd’hui possible en France de divorcer sans intervention d’un juge, par acte d’avocats déposé au rang des minutes d’un notaire.
L’efficacité du Règlement « Bruxelles II bis » en matière de divorce non judiciaire prévu aux articles 229-1 et suivants du Code civil fait l’objet de débats portant notamment sur son champ d’application matériel : le notaire n’est pas une juridiction au sens du Règlement et le dépôt de la convention de divorce au rang de ses minutes ne lui donne pas qualité d’acte authentique.
Néanmoins, l’article 46 du Règlement « Bruxelles II bis » prévoyant expressément que les accords exécutoires dans l’Etat membre d’origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que les décisions, de nombreux divorces internationaux sans juge ont lieu en France sur ce fondement. Le notaire français a même la possibilité de délivrer, au visa de l’article 509-3 du code de procédure civile, le certificat prévu par le Règlement « Bruxelles II bis » qui permet la circulation des décisions.
La difficulté pourrait toutefois porter sur l’étendue de sa reconnaissance à l’international. D’une part les Etats qui ne connaissent pas les divorces sans juge auront du mal à établir qu’un tel accord vaut bien divorce, et d’autre part, en cas de contestation de la convention de divorce ou de demande de modification ultérieure de celle-ci (nécessairement judiciaire, la modification conventionnelle n’étant pas prévue) le juge français saisi devrait vérifier sa compétence. Le choix de cette procédure suppose donc, à minima, de vérifier qu’une juridiction française serait compétente au regard des règles du Règlement Bruxelles II bis, s’il était question d’une procédure judiciaire.
Il sera enfin relevé que le nouveau Règlement Bruxelles II ter entend s’appliquer non seulement aux actes authentiques mais aussi aux accords enregistrés par une autorité publique, y compris les notaires en exercice d’une profession libérale. Ce nouveau texte devrait être en mesure de garantir à l’avenir, à l’échelle de l’UE, l’efficacité du divorce par consentement mutuel non judiciaire de droit français. L’un des objectifs de la refonte dudit Règlement ayant été de clarifier ses dispositions, cette précision serait de nature à conforter les couples qui choisissent le divorce sans juge, quant à son efficacité à l’international.
Au-delà des frontières européennes cependant, le statut du divorce sans juge demeure à l’heure actuelle extrêmement précaire. La prudence demeure de mise dans ce domaine.
En conclusion, si le confinement peut exacerber les passions et les rancœurs, le divorce qui en serait l’issue peut s’avérer complexe.
Il est de la responsabilité des époux et surtout de leurs avocats, lorsque la situation présente un élément d’extranéité, de vérifier les règles de compétence internationale, la loi applicable et, le cas échéant, d’évaluer l’opportunité d’un divorce par acte d’avocats qui supposera bien entendu que les esprits, échauffés par des semaines de promiscuité inhabituelle, se soient calmés et entendent l’appel de l’accord amiable.
N’oublions pas qu’une transaction vaut toujours mieux qu’un bon procès !
Et dans le cas où le contentieux est inévitable, les intérêts financiers bien compris de chacune des parties prenantes vont pousser à s’interroger sur l’opportunité de saisir certains tribunaux plutôt que d’autres. Il est clair que pour l’épouse britannique d’un mari français les tribunaux anglais seront plus favorables que ceux français… et inversement.
TROISIEME PARTIE : LE RETOUR
Imaginons que certains de nos compatriotes non-résidents confinés en France choisissent finalement d’y rester et d’y réimplanter leurs activités professionnelles, auraient-ils des avantages à le faire ?
Les obligations de confinement, comme nous les connaissons aujourd’hui en France mais aussi sur une large partie de la planète, peuvent par leur rigidité provoquer quelques dégâts dont nous avons analysés précédemment quelques exemples. Elles peuvent aussi raviver des désirs dont, au-delà d’un hypothétique « baby-boom », celui de retrouver cette douce France, tant décriée mais si souvent chantée.
Il est vrai que les cadres, dirigeants ou non, d’entreprises françaises implantées en Chine, par exemple, pourront avoir des réticences à retrouver un autre genre de promiscuité, celui de la surpopulation des grandes mégapoles chinoises, et voir quelque attrait à finalement se relocaliser en France.
De même, de l’expérience de la pandémie et sa démonstration de nombreux travers de l’hyper-mondialisation, il est probable que certaines entreprises vont sérieusement considérer le rapatriement de branches d’activités et par la même du personnel expatrié qui y était rattaché. D’autant plus si le législateur français a l’intelligence d’y ajouter quelques incitations.
Quelle sera alors la situation fiscale de ces anciens expatriés redevenus résidents français ?
iii. Le régime fiscal français des impatriés
Devenir résident fiscal français, au sens des critères posés à l’article 4B du CGI dont nous avons déjà abordé la nature en première partie de ces entretiens, entraine un assujettissement illimité à l’impôt français. Cela signifie que l’ensemble des revenus et du patrimoine mondiaux de la personne concernée entrent dans le champ de l’impôt.
Un régime fiscal dérogatoire a toutefois été mis en place par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, codifié sous l’article 155 B du CGI et commenté par une instruction du 30 juillet 2009. Ce régime a fait l’objet au fil des années de modifications et assouplissements (notamment les Loi Macron du 6 Août 2015, Loi de Finances pour 2017 et Loi de Finances pour 2019).
Il permet aux salariés et dirigeants salariés d’entreprises venant exercer leur activité en France de bénéficier de mesures particulières d’exonération en matière d’impôt sur le revenu.
Il est toutefois assorti d’une double condition :
– Ne pas avoir été fiscalement domicilié en France au sens du droit français (art. 4B du CGI) ou résident de France au sens des conventions fiscales de façon ininterrompue pendant les 5 années précédant l’installation professionnelle en France ;
– Et de fixer en France son domicile fiscal (au sens du droit interne et/ou des conventions fiscales) à compter de la prise de fonctions en France. Cette dernière s’entend normalement du début effectif soit du contrat de travail soit du mandat social, mais l’Administration admet, à titre de tempérament, que l’installation en France peut être différée de quelques mois du fait des contraintes familiales ou professionnelles.
Dès lors que ces conditions sont remplies, les personnes concernées vont bénéficier d’allègements sur l’imposition de leurs revenus d’activité et sur certains revenus du patrimoine situé à l’étranger.
S’agissant des revenus d’activité, une exonération d’impôt est accordée :
– D’une part, sur la « prime d’impatriation » pour son montant réel ou, sur option, dans la limite de 30% de la rémunération nette globale (hors avantages salariaux) ;
– Et d’autre part, sur la fraction de la rémunération qui serait, le cas échéant, allouée à une activité exercée hors de France dès lors que les déplacements à l’étranger sont motivés par l’intérêt exclusif de l’entreprise.
Ces deux exonérations sont cependant plafonnées, au choix des intéressés, soit globalement à hauteur de 50 % de leur rémunération totale, soit uniquement pour la fraction de la rémunération correspondant à l’activité exercée à l’étranger à hauteur de 20 % de leur rémunération imposable.
Pour ce qui concerne les revenus du patrimoine étranger, sont exonérés à hauteur de 50% de leur montant :
– Les revenus de capitaux mobiliers (dividendes, intérêts, produits des contrats d’assurance-vie ou de capitalisation) ;
– Les produits de la propriété intellectuelle ou industrielle (droits d’auteur, revenus et produits de brevets, marques, procédés ou formules…) perçus par les inventeurs ainsi que les produits perçus par les créateurs de logiciels indépendants.
– Les plus-values de cession de valeurs mobilières et droits sociaux détenus à l’étranger. Corrélativement, les moins-values sur ces mêmes titres ne sont prises en compte qu’à hauteur de la moitié de leur montant.
Pour bénéficier de ce régime spécial d’imposition, le paiement de ces différentes catégories de revenus et gains en capital doit avoir été effectué par une personne établie hors de France dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale comprenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Il concerne tous les placements financiers, de source française ou étrangère, détenus hors de France.
Ces exonérations partielles tant des revenus d’activité que de ceux du patrimoine hors de France s’appliquent jusqu’au 31 décembre de la huitième année suivant celle de la prise de fonctions en France.
Est-ce que tout le monde peut en bénéficier ?
En fait, non.
Ne sont concernés par ce régime dérogatoire que les salariés non-résidents et dirigeants de sociétés de capitaux soumis au régime fiscal des salariés qui viennent exercer leur activité en France soit parce qu’ils sont recrutés directement par une entreprise française soit parce qu’ils sont détachés par une entreprise étrangère à ses activités en France. Dans ce deuxième cas, il s’agira des personnels dirigeants ou non qui exerceront désormais leur activité professionnelle au sein de la filiale française d’une entreprise étrangère.
En revanche, les personnes qui décideront de leur propre initiative de rester travailler en France ne peuvent pas profiter du régime fiscal des impatriés.
Il en va de même pour le conjoint du salarié en question et des personnes exerçant une activité indépendante (professionnels libéraux notamment).
Il est bien évident aussi qu’une personne retraitée n’entre pas dans le cadre de ces dispositifs.
Toutefois, pour ces derniers, il existe des situations atypiques qui peuvent conduire à une non-imposition en France : tel est notamment le cas des retraités de nationalité américaine, confinés en France pas les hasards de leurs séjours dans leur résidence secondaire et qui décideraient de s’y installer définitivement.
En effet, les dispositions particulières de la convention franco-américaine en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune du 31 Août 1994 modifiée conduisent à une exonération d’impôt en France de certaines catégories de revenus :
– Les pensions de retraites, publiques ou privées, qui ne sont imposables que dans l’Etat de la source (soit au cas particulier des retraités américains, les Etats-Unis) ;
– Les revenus passifs de sources américaines (dividendes, intérêts, plus-values de cession de valeurs mobilières) ;
– Les revenus provenant d’immeubles situés aux Etats-Unis.
L’ensemble de ces revenus de sources américaines sont en principe imposables en France mais y voient leur imposition totalement effacée par l’imputation sur l’impôt dû en France d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français. Ce crédit d’impôt s’étend aussi aux contributions sociales.
Ainsi les retraités américains dont les revenus sont le plus souvent constitués de ceux décrits ci-dessus n’ont aucune imposition à acquitter en France et ne restent redevables aux Etats-Unis que de la seule imposition fédérale.
Au regard de l’impôt sur le revenu, il y a donc quelques opportunités à considérer attentivement lors de la levée prochaine du confinement.
iv. L’Impôts sur la Fortune Immobilière (« IFI »)
Indépendamment des avantages fiscaux réservés aux salariés impatriés dans le cadre de l’impôt sur le revenu, il existe aussi un régime spécial d’exonération en matière d’impôt sur la fortune.
Tout résident français est normalement assujetti à l’IFI sur l’ensemble de ses biens immobiliers, détenus directement ou indirectement, qu’ils soient situés en France ou hors de France.
Toutefois, les impatriés (ou nouveaux résidents) sont, en vertu des dispositions de l’art. 964-1° al.2 du CGI, exonérés de toute imposition sur leurs biens immobiliers situés à l’étranger, dès lors qu’ils n’ont pas été fiscalement domiciliés en France au cours des 5 années précédant celle de leur installation en France.
Cette exonération s’applique jusqu’au 31 décembre de la cinquième année qui suit celle de leur installation. Ainsi, une personne décidant de rester en France en 2020 à l’issue du confinement, pourra prétendre à une exonération de l’IFI de ses biens immobiliers hors de France jusqu’au 31 décembre 2025.
Il faut noter que ce texte concerne toute personne prenant une résidence (ou domicile) en France quelle qu’en soit la raison et qu’elle est maintenue même si pendant la période de 5 ans, elle prend temporairement une résidence hors de France.
Cette mesure particulière figure aussi dans un certain nombre de conventions fiscales signées par le France et profite aux nationaux des Etats concernés. Elles ne peuvent toutefois pas se cumuler, sauf dans certains cas particuliers où il peut être prévu que la personne ayant déjà profité une première fois de l’exonération y a droit une seconde fois lors de sa réinstallation en France à condition d’avoir été non-résident pendant trois ans, au lieu de cinq ans (tel est le cas des conventions avec l’Allemagne, l’Autriche et les Etats-Unis).
Prenons par exemple la situation d’un national américain résident aux Etats-Unis depuis plus de 5 ans et qui décide de s’installer en France : il sera exonéré d’IFI sur son patrimoine immobilier non français pendant les cinq années suivant son installation sur le fondement de l’article 964-1 al.2 du CGI. Si au terme des 5 ans, il décide de retourner aux Etats-Unis pendant une durée d’au moins 3 ans puis revient en France, il pourra à nouveau bénéficier de l’exonération d’IFI sur ses immeubles à l’étranger pendant une nouvelle durée de 5 ans suivant sa réinstallation en France en application des dispositions de l’article 23 §6 de la convention franco-américaine en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune du 31 Août 1994, bien que les conditions de l’article 964 du CGI ne soient pas remplies.
Au terme de ces développements, on constate qu’une prise de résidence en France peut s’avérer avantageuse dans nombre de cas. Il convient bien entendu d’analyser très sérieusement l’intégralité de la situation de chacun avant de prendre une décision et procéder aux réorganisations familiales et patrimoniales qui pourraient s’imposer le cas échéant avant de franchir le pas. Il sera notamment opportun, sur le plan fiscal, d’être attentif aux plus ou moins-values latentes dans les portefeuilles de valeurs mobilières dont la purge préalable pourra s’avérer judicieuse avant le retour. Il faudra porter aussi une attention toute particulière aux trusts qui auront pu être constitués hors de France.
v. L’Exit Tax – Un nouveau départ
Notre contribuable avisé peut finalement se lasser des incessantes controverses gauloises et décider après quelques temps de repartir.
Ainsi que nous venons de le voir, les différents avantages fiscaux accordés aux impatriés sont temporaires : 8 ans dans le cadre de l’impôt sur le revenu, 5 ans pour l’IFI.
Il n’est pas exclu que la fiscalité française évolue dans les prochaines années dans un sens moins favorable afin de faire face aux déficits considérables provoqués par la crise du COVID-19. S’il y a une certitude ici, c’est que lorsque l’Etat finance, le contribuable finit toujours par payer d’une manière ou d’une autre. La différence actuelle est sans doute que ce qui est valable chez nous le sera tout autant ailleurs.
Alors, bien évidemment, certains nouveaux résidents voyant arriver la fin de leurs régimes propres d’exonération partielle auront la tentation de quitter la France pour vivre l’aventure sous de nouveaux cieux qu’ils espèreront plus cléments.
La question ici sera celle de la fiscalité du départ et de l’incontournable taxation des plus-values latentes au départ de France, autrement nommée Exit Tax.
La Loi de Finances rectificative pour 2011 a réinstauré un mécanisme de taxation des plus-values latentes sur les participations détenues par des personnes physiques domiciliées en France qui transfèrent leur domicile fiscal à l’étranger à compter du 3 mars 2011. Ce texte a été modifié à plusieurs reprises dont notamment par la loi de finances pour 2019 qui a intégré dans le champ de l’Exit Tax les plus-values latentes sur parts et actions de sociétés à prépondérance immobilière.
Le fait générateur est le transfert du domicile fiscal hors de France, lequel est réputé intervenir le jour précédant celui à compter duquel la personne concernée cesse d’être soumise en France à une obligation fiscale sur l’ensemble de ses revenus.
L’imposition fait l’objet d’un sursis de paiement automatique sans constitution de garantie lorsque le nouveau domicile est fixé dans l’Union Européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement.
Au cas contraire, une proposition de garantie doit être présentée 90 jours avant le départ de France.
Enfin, il sera précisé que depuis l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2019, le dégrèvement de l’imposition en sursis intervient maintenant à l’expiration d’un délai de 2 ou 5 ans selon que la valeur globale des titres excède ou non 2.570.000€.
Voilà de manière très schématique comment se présente ce dispositif.
Il ne concerne toutefois que les personnes qui ont été fiscalement domiciliées en France pendant au moins six des dix années précédant le transfert de leur domicile à l’étranger.
En conséquence, tout départ de France effectué dans les 6 premières années de résidence n’entre pas dans le champ de l’Exit Tax.
Dès lors, notre contribuable avisé, ex-confiné, aura intérêt à savoir compter avec les délais : 5 ans IFI, 6 ans Exit Tax, 8 ans impôt sur le revenu.
Un homme averti en vaut deux, dit-on, et celui dont la barque s’est retrouvée drossée sur les côtes de France par un effet de confinement brutal, pourra trouver ici matière à réfléchir et, qui sait, imaginer prolonger quelques temps son séjour aux côtés du coq gaulois.
[1] Règlement 1259/2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, entré en vigueur en France le 21/06/2012, concerne actuellement 15 autres pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Portugal, Roumanie et Slovénie).
1er avril 2020
Jean-Philippe Mabru